Fêtes Juives

Anatomie du pardon - 5776

"Car en ce jour, Il vous pardonnera pour vous purifier; de tous vos péchés vous serez purs devant D." (Lévitique 16, 30)

Ce verset, qui résume admirablement la quintessence de Yom Kippour doit être interprété avec circonspection : il serait erroné d'y voir le signe que le "grand pardon" est octroyé de manière quasi automatique en vertu du pouvoir expiateur dont ce jour est doté. Ainsi que le souligne Maïmonide dans son Code, à plusieurs reprises, le pardon est obligatoirement conditionné par le repentir, la téchouva : "Le jour de Kippour par lui-même, apporte l'expiation à ceux qui se repentent, comme il est dit "Car, en ce jour, Il vous pardonnera" (Lois sur la téchouva 1,3). Ou encore : "Le jour de Kippour est le temps du repentir pour tous, pour le particulier comme pour la collectivité; et il constitue le terme final du pardon et de l'absolution pour Israël. C'est pourquoi tous ont l'obligation de faire pénitence et de se confesser le jour de Kippour" (Ib. 2, 7).

Ainsi le pardon divin n'est pas comme on pourrait le croire, l'effet d'un acte gratuit, il n'est accordé qu'en contrepartie d'une initiative prise par le pécheur afin de l'obtenir.

Cette assertion selon laquelle la justice divine est d'une rigueur sans faille est, en fait souvent évoquée dans la Bible : "Car toute action, D. la citera en justice, fût-elle entièrement cachée, qu'elle soit bonne ou mauvaise" (Ecclésiaste 12, 14). "Car Il paie chacun selon ses oeuvres, et lui assigne le sort mérité par sa conduite" (Job 34, 11). Elle est formulée également dans le Talmud (Baba Kama 50a) de manière presque provoquante : "Quiconque dit : le Saint béni-soit-Il est indulgent abdique son droit à la vie."

Une telle exclusion de l'éventualité d'une rémission gratuite des péchés, d'une véritable amnistie divine, met en relief le caractère absolu du principe de la rétribution du bien et du mal, qui constitue un des fondements de la foi juive. Pour le judaïsme, faute et sanction sont indissociables de même que l'acte méritoire et la récompense. En aucun cas le péché ne pourrait être considéré comme un fait contingent et éphémère; il laisse, au contraire, une trace indélébile.

Cette affirmation de l'intransigeance divine n'est pourtant pas sans poser un grave problème : comment la concilier avec celle, essentielle elle aussi dans la théologie juive, de la bonté infinie de D.? Ne pourrait-on attendre du Miséricordieux un acte de pure générosité? La clémence, le sens du compromis, la renonciation à faire valoir ses droits sont des vertus humaines : comment admettre leur absence chez D.?

Certains de nos penseurs expliquent que cette rigueur apparente de la justice divine n'est nullement inspirée par une volonté de châtiment et de vengeance. Elle résulte simplement du système introduit par le Créateur dans Sa création et selon lequel chaque péché exerce une action nuisible pour l'univers dans son ensemble et, particulièrement pour son auteur. La punition est donc inhérente et concomitante à l'acte lui-même. C'est l'homme qui façonne son destin, qui crée, de ses propres mains la béatitude dont il jouira dans l'au-delà, ou le châtiment qui l'y attend. La michna 2 du chapitre 4 du traité Avot peut ainsi être comprise en son sens le plus littéral : "La rétribution de la mitsva c'est la mitsva ; celle du péché, c'est le péché."

Une telle conception est remarquable, mais en bouleversant les données du problème, elle soulève une nouvelle difficulté : si la sanction fait partie du péché sans possibilité logique de dissociation, comment expliquer que soit offerte à l'homme la faculté d'obtenir le pardon au moyen du repentir ?

Cette question trouve sa réponse dans un passage étonnant du Talmud de Jérusalem (Makot 2, 6) : "On a demandé à la sagesse: le pécheur, quelle est sa sanction? Elle a répondu: "Le malheur poursuit les pécheurs" (Proverbes 13, 21). On a demandé à la prophétie : le pécheur, quelle est sa sanction? Elle a répondu : "L'âme pécheresse, elle, mourra." (Ezechiel 18, 4). On a demandé au Saint béni-soit-Il : le pécheur, quelle est sa sanction ? Il a répondu : Qu'il fasse pénitence et il sera pardonné." C'est ce que dit le verset (Psaumes 25, 8) : "[L'Eternel est bon et droit,] aussi montre-t-Il aux pécheurs le chemin: celui qui mène à la pénitence."

Ainsi, du point de vue de la raison humaine -la sagesse- et même de celui de la raison inspirée -la prophétie- il n'existe aucun recours pour le pécheur. Le salut à travers le repentir est totalement illogique ; il est, en fait, miraculeux et procède directement de l'intervention divine. Il est clair, dans cette perspective, que même s'il est conditionné par le repentir, l'octroi divin du pardon reste un acte de pure générosité, d'amour gratuit. Cette idée est longuement développée, entre autres, dans le Sentier des droits de Rabbi Hayim Luzzato (chapitre 4), dont nous citerons ici quelques extraits : "En vérité, comment l'homme pourrait-il réparer ce qu'il a détérioré, le péché qu'il a déjà commis... pourrait-il ôter de la réalité l'acte accompli ?... Mais c'est l'attribut de miséricorde qui rend cela possible... si le repentant prend conscience de sa faute et la reconnaît, s'il médite et se repent, s'il la regrette d'un regret total... au point de désirer passionnément que ce péché n'ait jamais été commis, et de souffrir d'une douleur intense à l'idée qu'il l'a été... ce déracinement mental est comparable à celui d'un voeu - et il obtient le pardon... le péché disparaît réellement, et est déraciné par la douleur et le regret qu'il éprouve aujourd'hui du passé.

Telle est la valeur miraculeuse du repentir: il annule la faute comme si elle n'avait jamais été commise. La sanction étant inséparable comme nous l'avons montré du péché, la rémission de la sanction passe nécessairement par l'effacement rétroactif du péché lui-même, et c'est pourquoi le pardon ne peut découler que de la téchouva.

On conçoit, dès lors, l'enjeu des dix jours de pénitence, et de Kippour qui en représente l'apothéose. On comprend pourquoi, traditionnellement, cette période est pour tous les fidèles l'occasion d'une recrudescence de zèle dans l'observance des pratiques, dans la prière et dans l'étude.

Nos sages enseignent, en outre, qu'il existe différents niveaux de repentir. Le pardon étant fonction du repentir, il existe donc aussi différents niveaux du pardon... Mais tout repentir entraînera obligatoirement une certaine rémission. "C'est comme un vêtement qu'il faut nettoyer. Un lavage minime permettra de faire disparaître la tache; mais plus intensif sera le lavage, plus le vêtement blanchira."

"En ce jour, Il vous pardonnera pour vous purifier..."

Le pardon divin ne se réduit pas à une simple remise de peine ; il est aussi porteur de purification. Celle-ci se traduit par la fin de la déchéance morale et de la disgrâce qui accablaient le pécheur et par le retour à une communion féconde avec son Créateur.

C'est ce qu'expose, avec lyrisme Maïmonide dans ses lois sur la téchouva (7, 6 et 7) : "Grand est le repentir qui rapproche l'homme de D. Hier, il était détestable devant D., objet de dégoût, de répulsion et d'abomination; aujourd'hui il est aimé, séduisant, proche et intime... Hier il était séparé de l'Eternel, D. d'Israël, comme il est dit : "Vos fautes faisaient écran entre vous et votre D." (Isaïe 59, 2), il priait sans être exaucé... aujourd'hui il est attaché à D.", il prie et est exaucé sur-le-champ, il accomplit les commandements qu'on agrée avec satisfaction et joie... et même qu'on désire passionnément, comme il est dit "Alors D. prendra plaisir aux offrandes de Juda et de Jérusalem, comme Il 1e faisait aux jours d'antan et dans les lointaines années." (Malachie 3, 4)

Puissent les événements si graves que nous avons connus cette année nous conduire à une intimité inédite avec notre Créateur, qui sera porteuse de bénédiction tout au long de l'année qui vient.

Chana tova!

Michel Gugenheim

Grand Rabbin de Paris 

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