Un des aspects les plus remarquables du retour aux pratiques juives qui se fait jour dans les communautés de France, est l'observance par un nombre grandissant de couples, des lois de la vie conjugale. Dans les années 50, cette partie de la législation toraïque -appelée traditionnellement: taharat hamichpa'ha, (la pureté familiale)- victime d'une sorte de tabou, n'y était appliquée que par un cercle très restreint de fidèles. Ainsi, la communauté parisienne ne disposait, en tout et pour tout, que d'un seul bain rituel. Aujourd'hui on dénombre près d'une dizaine de mikvaot à paris intra-muros... Dans ce contexte, il parait intéressant de rappeler ici la quintessence de ces règles ainsi que leur signification.

Le concept fondamental de cette législation est celui de nida. Toute femme éprouvant un saignement utérin devient nida, et tant qu'elle conservera ce statut, la relation sexuelle avec elle est interdite ; même une simple étreinte amoureuse est proscrite par la Tora (Lévitique, 18, 19). Il importe de prendre conscience de l'exceptionnelle gravité de cette interdiction : participant à la catégorie des interdits sexuels, elle exige de la part de l'observant une fidélité si absolue qu'elle peut mener jusqu'au sacrifice de sa vie : Yéhareg Veal Ya'avor - « qu'on se fasse tuer plutôt que de transgresser ».(Cf. Bet Yossef sur Yoré Déa, chap. 195 ; Rema sur Choul'han 'aroukh Yoré dé'a, 157, 1)

De ce point de vue, les lois de nida sont donc plus sévères que les prescriptions alimentaires -la cacherout-, celles du chabat, et de Yom kipour !

Elles sont, par ailleurs, classées parmi les 'houkim -lois irrationnelles. Cette absence apparente de rationalité ne constitue nullement un obstacle pour le fidèle, qui, au contraire, manifeste ainsi que sa préoccupation exclusive est d'accomplir la volonté divine de la manière la plus désintéressée possible. Elle stimule, par contre, à bon droit, la recherche de significations, et, autant qu'il est humainement possible, d'une approche de la sagesse divine.

Il est remarquable que le phénomène du saignement menstruel est inconnu dans le monde animal. Du point de vue physiologique, il constitue donc aussi une énigme. Selon certains auteurs (Cf. Ich Ouvéto, de R.E. Kitov, p. 237), il pourrait s'expliquer comme un moyen de mise en valeur de la procréation dans le genre humain : tout se passe comme si la nature exprimait l'idée qu'une naissance humaine est si précieuse qu'elle requiert une préparation spécifique -en l'occurrence, la régénération partielle de la matrice. Lors de chaque cycle, un sang nouveau se prépare au grandiose événement que représente une fécondation. En cas d'échec, d'avortement de ce projet, ce sang est immédiatement, et irrémédiablement disqualifié ; il n'est plus, désormais qu'un déchet qui sera éliminé par l'organisme.

On comprend alors pourquoi la nida est recensée parmi les 13 catégories de la toum'a -«d'impureté rituelle ». Ce concept purement spirituel s'applique chaque fois qu'un objet porteur d'une fonction sacrée déchoit et ne joue plus le rôle qui lui était imparti : plus il était sacré initialement, plus grave sera son impureté en cas de dysfonctionnement. De plus la notion d'impureté est indissolublement liée à la mort. A titre d'illustration, la catégorie la plus grave, la première des 13, qualifiée de avi avot hatoum'a - « super source d'impureté » - concerne le cadavre humain. On conçoit donc que cet écoulement sanguin, révélateur d'un projet de naissance qui n'a pas abouti, d'une vie potentielle qui ne verra jamais le jour, confère à son auteur un statut d'impureté.

A l'époque où le Temple existait, ce statut lui interdisait tout contact avec le sacré : l'entrée dans le Temple, la consommation des sacrifices, lui étaient prohibées. Cette incompatibilité de la nida et du sacré est directement liée à l'interdit sexuel, dont elle fait l'objet. En effet, l'acte d'amour représente, dans la conception juive, un acte éminemment sacré. Le Talmud (nida 31a) n'enseigne-t-il pas que D.ieu participe activement à l'oeuvre de fécondation, et qu'il décompte chaque accouplement attendant le juste qui doit en naître ? N'ajoute-t-il pas que Bileam, le prophète impie, pour qui l'acte sexuel représente l'expression par excellence de l'animalité qui est en l'homme, était incapable d'appréhender une telle conception ?

C'est donc la valeur sacrée de l'acte sexuel qui le rend inconvenant en période de nida. C'est peut-être parce que cette vérité s'impose de manière quasi inconsciente aux couples qui observent ces lois de pureté, qu'on constate qu'ils ne sont pratiquement jamais concernés par l'infidélité conjugale: celle ci serait ressentie par eux comme une profanation insupportable de l'acte. (Cf Les eaux d'Eden, de A. Kaplan, p. 57)

La seconde caractéristique de cette législation est que le statut de nida ne disparaît pas spontanément, mais, au contraire, au prix de multiples procédures, entièrement assumées par la femme nida. Celle -ci doit, en premier lieu, établir la preuve d'un arrêt total des saignements au moyen d'une inspection vaginale très précise. A compter du lendemain de cet examen, elle observe « sept jours nets » au cours desquels elle effectue, deux fois par jour, une même vérification. Ce n'est qu'au soir du septième jour, à la tombée de la nuit, qu'elle pourra retrouver sa « pureté » - grâce à l'immersion dans un mikvé.

Les modalités de ces vérifications, ainsi que de cette immersion, sont bien trop détaillées pour être présentées dans le cadre d'un tel article. Mieux encore que par la lecture des livres, c'est en suivant des cours dispensés par des formatrices expérimentées, qu'on est le plus à même d'accomplir sans risque d'erreur l'ensemble de ces prescriptions.

Contentons-nous ici d'attirer l'attention sur le rôle essentiel de ces inspections vaginales, dont le non respect invalide la purification par le mikvé. Parallèlement, le mikvé constitue la phase décisive et incontournable du processus de purification. Même une femme enceinte, ou une femme ménopausée, reste nida et interdite à son mari si elle n'a pas procédé aux inspections et au bain rituel, à la suite de son dernier saignement.

La vertu purificatrice du mikvé est aussi de caractère irrationnel. Mais la symbolique qu'il véhicule est transparente : un mikvé est un« rassemblement » naturel d'eau ; or l'eau préside à toute vie. Au moment de la création du monde, l'eau était partout (Genèse I, 2). Toute vie organique est basée sur l'eau ; un foetus est constitué d'eau à 97 %, et l'eau dans l'organisme ne cesse de diminuer avec l'âge. L'eau, souvent appelée en hébreu « eau vive »est donc symbole de vie. Aussi l'eau du mikvé ne doit-elle pas être recueillie ou canalisée dans des ustensiles fabriqués par l'homme : subissant l'action d'un mortel, elle devient impropre et perd sa propriété revitalisante. D'autant que l'eau est, plus encore, symbole de la source de toute vie. Ainsi, la femme qui s'immerge de façon à ce queson corps tout entier soit recouvert par l'eau met l'intégralité de sa personne en rapport avec cette source. De cette expérience unique au cours de laquelle elle se retrouve seule avec elle-même et avec D.ieu, elle ressortira comme régénérée, comme le fruit d'une re-création.

On comprend bien,dans ce contexte, que cette immersion dans le mikvé consacre aussi la conversion du prosélyte : c'est pour lui réellement une vie nouvelle qui s'ouvre à lui.

En résumé, l'alternance rituelle d'impureté et de pureté, correspond pour la femme à une confrontation cyclique avec la mort puis avec la vie : dans un premier temps, la vie matérielle est vaincue par la mort ; mais la mort elle-même est tenue en échec par l'esprit.

C'est parce que le respect ou non par la mère de cet impératif de pureté rejaillit, selon la tradition, sur la valeur de ses enfants, qu'il est convenu de recouvrir cette discipline de vie sous l'expression de « pureté de la famille ».

Cependant, à ces considérations qui mettent en jeu la relation de la femme à D.ieu, il importe d'associer le rôle remarquable de ces réglementations dans la vie du couple. Des médecins ont souligné l'harmonie parfaite qu'elles offrent avec le fonctionnement du corps féminin. « L'exigence d'abstinence après les règles, et le moment de reprendre les rapports conjugaux, correspondent exactement aux vagues naturelles du désir sexuel de la femme. » Ainsi sont pris en compte les désirs alternatifs de la femme : tantôt de solitude et d'individualité, tantôt de proximité et d'amour - et ce sans jamais que le mari puisse se sentir frustré ou vexé par le besoin d'isolement de sa femme. Par ailleurs, les règles très strictes qui proscrivent tout contact physique entre les époux durant la période de nida, les contraignent à rechercher des formes plus subtiles de communication, et leur permettent de trouver certaines qualités et dimensions de relations qui n'auraient jamais eu autrement l'occasion de s'exprimer. Cet affinement des rapports se révélera précieux à long terme. Il permettra de maintenir une relation puissante et dynamique lorsque sera venu le temps où l'attirance et le désir physiques se sont émoussés... (Cf. Le Secret De La Féminité Juive, de T. Abramov.).

Enfin, le Talmud déjà (Nida 65b) a relevéque cette alternance imposée protégeait le couple aussi bien des excès que de la lassitude, qu'elle permettait, à longueur de vie, de revivre « la magie de la nuit de noces », et assurait aux époux une infinité de « lunes de miel ».

Approche positive de la sexualité, qui se voit revêtue d'un cachet de sainteté ; compréhension profonde de la féminité ; facteur de stabilité et d'harmonie pour le couple : tels sont les ingrédients qui font, aux dires de certains, des règles de taharat hamichpa'ha « le mode de vie le plus avancé du monde contemporain ».

Mais une morale aussi se dégage de ce réseau si serré de réglementations : le bonheur ne s'acquiert qu'au prix de l'effort.