Un certain nombre de média ont eu à coeur de signaler une découverte intervenue dans le cadre de la recherche médicale, et qui a faitl'objet d'une communication à l'Académie des Sciences. On a, en effet, mis en évidence, pour la première fois, que le cerveau produisait lui-même des substances capables d'influencer le comportement sexuel.

L'interdépendance des fonctions cérébrale et sexuelle n'est assurément pas une nouveauté, mais le caractère si direct de cette relation semble avoir néanmoins surpris. C'est que les organes impliqués ne sont pas seulement "géographiquement" éloignés ; ils le sont aussi philosophiquement, en ce qu'ils représentent, suivant une conception communément admise, le symbole par excellence de l'opposition esprit-matière. Le judaïsme, lui, est loin de pratiquer une telle dichotomie, et il convient de rappeler qu'au contraire de semblables découvertes s'inscrivent parfaitement dans son système.

La Tora met en garde l'observant contre les dangers moraux qui le guettent en temps de guerre : "Lorsque tu sortiras camper contre tes ennemis, tu te garderas de tout acte mauvais" (Deut. 23, 10). Or, au verset suivant, il est prescrit : "S'il se trouve chez toi un homme qui ne soit pas en état de pureté, par suite d'une pollution nocturne, il sortira à l'extérieur du camp..." Cette connexion ne saurait être fortuite, et le Talmud ('Avoda Zara 20b) en déduit : "l'homme ne doit pas avoir de mauvaise pensée de jour et risquer de provoquer une impureté pendant la nuit".

En d'autres termes, la Tora qui attribue à la vie un caractère sacré et inviolable, confère au sperme -agent de transmission de la vie- une valeur semblable. Dans ce contexte, non seulement la masturbation pure et simple est condamnée, mais l'influence de la fonction cérébrale sur l'activité sexuelle doit, elle aussi, être prise en considération. De sorte que le Juif se voit dans la délicate obligation de maîtriser à tout moment la moindre de ses pensées !

Sous cet angle, l'opposition 'esprit et matière' est gommée par une certaine déchéance de l'esprit, par une sorte de "matérialisation" de l'activité du cerveau. Mais la réciproque est vraie également.

"Les Maîtres du Talmud insistent sur les intentions -kavanot- que les parents doivent avoir au moment de la conception même." Pour les cabalistes, elles impriment directement leur marque sur l'œuf futur et l'enfant sera d'autant plus "réussi" que ces pensées auront été pures et élevées. "Et voici le mystère : la goutte de semence, si elle est émise avec sainteté et pureté provient du siège de la connaissance et de l'intelligence, c'est-à-dire du cerveau".

Le rôle déterminant de l'imagination et de la concentration spirituelle pour la nature du fruit qui doit naître nous est déjà révélé par l'exemple du bétail de Jacob (Gen. 30, 37 à 39) : "Jacob se pourvut de rameaux verts de peuplier, d'amandier et de châtaignier; il retira l'écorce, il y fit des entailles blanches mettant à découvert la blancheur des rameaux... les brebis s'échauffèrent devant les rameaux et engendrèrent des agneaux rayés piquetés, mouchetés." Rabbénou Bahya, dans son commentaire, en tire la leçon : si les animaux, dépourvus d'une véritable intelligence, sont capables d'un tel résultat, combien plus décisive encore sera la disposition mentale des procréateurs humains...

Ainsi, lorsque le cerveau assume pleinement son rôle spirituel, la fonction sexuelle elle-même s'en trouve "spiritualisée". L'acte conjugal est alors sublimé au point de devenir l'un des plus sacrés de l'humanité.

MAITRISER SES SENS

Le Talmud exprime cette idée en enseignant (Nida 31a) qu'en ce cas D. s'associe au couple et participe activement à l'œuvre de fécondation. Rabbi Abahou commente, dans le même passage, le verset des Nombres (23, 10) : "Qui a compté la poussière de Jacob, nombré la multitude d'Israël ?". Il s'agit, dit-il, de D. qui décompte les accouplements d'Israël, attendant le juste qui doit en naître. Et c'est à cause de cela que Bil'am, l'impie, devint borgne. Il s'était écrié : Celui qui est pur et saint, dont les serviteurs sont purs et saints, contemplerait un tel spectacle ! Aussitôt son œil se ferma, ainsi qu'il est dit (Nombres 24, 4) : "Parole de l'homme à l'œil fermé."

Pour Bil'am, prophète, mais impie, l'acte sexuel représente l'expression maximale de l'animalité qui est en l'homme. Aussi est-il incapable d'appréhender cette conception, spécifiquement juive, qui transcende, purifie et sacralise le corps humain en l'assujettissant au service de D.

D'une manière plus générale, il nous semble que l'influence du cerveau sur la fonction sexuelle doit être insérée dans le cadre de son hégémonie sur l'ensemble du corps : c'est lui qui régit la pensée, la parole, le mouvement des membres, le comportement de l'individu. Cette suprématie symbolise autant qu'elle rend possible l'essence même de la mission humaine, telle que la définit, par exemple, Rabbénou Bahya Ibn Paquda dans Les devoirs des coeurs ("Portique de l'ascèse", chap. 2) : "Le but recherché par la Tora est de faire gouverner par l'esprit toutes les passions de l'âme et de les lui assujettir."

Il incombe à l'homme de faire usage de sa liberté pour parvenir à maîtriser ses sens, ses pulsions, ses sentiments, à dominer son instinct, à le canaliser vers sa finalité que lui a assignée l'ordre divin. Il s'agit de transformer le Yetser -l'instinct- en Ratson- volonté.

En vérité, cette leçon transparaît déjà, d'une manière saisissante de simplicité, dans le texte même de la Bible :

"Or l'homme avait connu Eve, sa femme. Elle conçut et enfanta Caïn" (Gen. 4, 1).

"Elkana connut Hanna sa femme... et Hanna conçut et enfanta un fils." (I Sam. I, 19-20).

En hébreu, l'amour et la connaissance sont synonymes.